64                 MEMOIRES DE PIERRE DE LESTOILE.
Le samedi 28 juillet, je vis près les Cordeliers à Pa­ris un pauvre homme qui mangeoit de l'oing, de quoi on fait de la chandelle. Et lui ayant demandé s'il n'a­voit autre chose à manger, me dit que non ; et qu'il y avoit plus de huit jours que cette viande lui servoit de pain à lui et à sa femme, et à trois petits enfans qu'il avoit. Dont m'estant fait enquerir, trouvai qu'il estoit vrai, et qu'il y avoit près de la moitié des pauvres de la ville qui s'en nourrissoient au lieu de pain ; et tou­tesfois c'estoit plus d'un mois avant la levée du siege : ce qui monstroit bien la grande necessité de Paris.
Pendant ce mois de juillet, la saison estant de cueil­lir les grains et faire la moisson, qui estoit fort belle et en grande quantité, tout autour de la ville de Paris : ceux de ladite ville, qui estoient fort pressés de faim, s'efforçoient d'aller couper, et sortoient, aux despens bien souvent de leurs bras et de leurs jambes : car on ne voiioit autre chose tous les jours qu'hommes et femmes coutelassés en revenir. Il y avoit toutefois par­fois des rencontres et escarmouches où l'ennemi estoit battu à son tour : car le chevalier d'Aumale, "Victri, Grandmont, Potrincourt, Lignerac et autres gentils­hommes estans dans Paris faisoient des sorties pour soustenir ces pauvres gens, qui se hazardoient d'aller couper quelques grains autour de la ville. Qui estoit quelque soulagement de la necessité, mais petit, eu esgard à la grande multitude du peuple.
Le mardi dernier jour du present mois de juillet 1590, M. Gohorri, secretaire du Roy, ine monstra un peu de pain blanc qu'il avoit recouvert pour un sien ami malade, qu'il ine jura avoir paié au prix d'ung escu la livre.
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